Un costume trop grand

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Dans toutes les entreprises de France et de Navarre,

Il y a des gens, à qui un doux refrain vient murmurer aux oreilles,

Qu’il est temps d’endosser quelques responsabilités.

On souhaite leur confier l’encadrement d’une équipe.

Cette tâche leur fait souvent un peu peur, ils rechignent parfois,

Mais pour les motiver, on leur fait miroiter,

Pour le prochain printemps, sur les fraises un peu de crème fouettée.

 

On leur parle carrière, ambition, évolution professionnelle.

Certains résistent, doutant de la qualité du fruit.

Lorsqu’on les juge très travailleurs, obstinés et dociles,

On leur promet de napper le dessert de chocolat,

A condition de voir la courbe progresser,

De 15% à 20 % cette l’année.

 

Voilà donc nos responsables, nos capitaines, nos premiers de cordée.

Certains partent d’un pas zélé vers les neiges éternelles,

Souhaitant être les premiers à trouver l’edelweiss,

Huant, criant « qui m’aime me suive »,

D’autres ont l’ambition modeste de s’entourer d’une équipe, d’un groupe de copains,

Qui ensemble fera son chemin.

 

Très vite, on va leur montrer la courbe,

Leur demander 30 puis 50%.

Dans la cordée, il y a du mou à certains endroits,

A d’autres, ça se tend.

Derrière le premier, on s’aide parfois. Il arrive que ça rouspette.

Le chef des fois fait la sourde oreille. Des fois il engueule ceux qui traînent.

Ca dépend. Certains veulent absolument goûter au chocolat,

D’autres ne souhaitent que conserver la tête de la cordée,

Qui leur a été confiée.

 

Jamais personne n’a le temps de savoir,

Ce qui pourrait permettre au groupe de mieux avancer.

Personne ne songe plus que la cordée pourrait par exemple ralentir,

Pour avancer plus régulièrement. Personne ne pense plus.

Dans tous les cas, la discorde finit par envahir le groupe,

Les plus « faciles » rejettent les faibles maillons,

Ou les plus malins désignent le fragile et idéal coupable.

 

Le chef ne sait plus que faire,

Ses instructions lui disent d’accélérer.

Il ne peut prendre le temps,

D’analyser la situation.

Et là il comprend.

 

Il regarde ses manches.

Le costume qu’on lui a remit était un peu trop grand pour lui.

On ne lui a jamais demandé de faire au mieux avec cette équipe là,

Mais d’accélérer, d’accélérer, d’accélérer…

Il va commettre l’irréparable, regarder les doigts tendus,

Et sortir de la cordée l’homme fragile qui a été désigné.

 

Cet homme dont personne n’a pris le temps de savoir pourquoi,

Il n’arrive à suivre le rythme des premiers,

Et à respecter la consigne pourtant réitérée:

Accélérez, accélerez, accélerez…

 

Le groupe repartira, sans doute un peu plus vite,

Mais alors chacun saura,

Ce qu’il peut lui arriver si la corde venait à se tendre,

Et se détendre.

Le chef, lui, regarde de nouveau la cime, la tête haute,

Avec son costume décidemment trop grand pour lui.

 

A Philippe…

Jihem, 2008

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